Vingt minutes et quelques soixante ans de silence.
Il y a dans Vingt minutes de silence de Hélène Bessette, p. 89 et suivantes, une partie intitulée le Poème des questions, où l'interrogation est portée à incandescence (voir extrait plus bas). Le livre ne se signale pourtant pas par son accumulation de questions, il ne verse jamais dans la litanie interrogative ; c'est qu'il se place plus loin, et plus profondément, dans la nature intrinsèquement fluide de l'interrogation, dissolvant de forme et de pensée. Toute liste, fusse-t-elle de questions, présente encore la rigidité de la répétition.
Vingt minutes de silence, points d'interrogation ou pas, n'est en réalité qu'une immense question. Entrer dans sa lecture, c'est se retrouver embarqué dans un bateau-enquête, quête infinie sur la mer interrogative. Une inquisition en multivision, car en multiplicité de points de vue et de locuteurs, en changement vif et constant : le regard des coupables potentiels, le fils, la mère, mais aussi de la victime, le père, et des divers protagonistes, la bonne, les voisins, la rumeur publique, la presse, la police, finalement oui, celui du policier en investigation, le lecteur entre dans son cerveau et participe des méandres de sa pensée, qui n'est pas autre chose qu'un long questionnement, souple, ductile, glissant, rapide, spongieux, élastique, incertain, rétractile, contradictoire, liquide : la pensée elle-même.
Au bout du périple, reste une question, une seule : comment se fait-il que Hélène Bessette, admirée par Queneau, Duras, n'ait pas été reconnue pour ce qu'elle est, un(e) immense écrivain(e) ?
L'intégralité des romans de Hélène Bessette, une quinzaine, est en cours de réédition par Le Nouvel Attila. Vingt minutes de silence est le premier. Trop novatrice, sans doute.
"QUE S'EST-IL PASSÉ PENDANT LES VINGT MINUTES DE SILENCE ?
– C'est un peu fort hurle le magistrat de la magistrature.
C'est trop fort.
C'est moi qui suis interrogé.
On interroge les magistrats maintenant.
On aura tout vu.
C'est le comble.
On dépasse les bornes.
Pour qui sont les interrogatoires,
maintenant ?
hurle le magistrat de la magistrature.
Et naturellement il ne répond pas.
– Je n'ai rien à dire.
On ne me fera pas parler.
Je ne parlerai pas. Je vous ai dit : NON.
Et
Que pourrais-je vous dire ? Je n'en sais pas plus que vous.
Mes réponses à vos questions valent les vôtres.
Une réponse en vaut une autre.
JE NE SAIS RIEN.
NOUS NE SAVONS RIEN.
Dans cette affaire personne ne sait rien.
Celui qui sait quelque chose se tait.
Comme moi.
L'enfant.
L'enfant ne parle pas.
et, il ne parlera pas.
Il a certainement de bonnes raisons pour se taire.
Comme moi.
J'ai de bonnes raisons pour me taire : je ne sais rien.
Et lui, il de bonnes raisons pour se taire : il sait tout.
Nous ne répondrons pas ni lui ni moi.
C'est une histoire silencieuse, qui court de silence en silence."